C’était le 246 ième jour de l’an 2002 et le cinquième du stage dans les Pyrénées de notre club vélo-passion de Vaux/Sûre. Ne voulant pas épiloguer sur cette année pleine d’expériences vélocipédiques, je me limiterai aux derniers jours.
Le premier jour avait vu H. Arbes, le fidèle lieutenant, celui qui camoufla le Blaireau blessé (Abandon de B. Hinault à Pau le 9-7-1980), nous faire visiter le col de Marie-Blanque suivi par l’Aubisque et puis le Soulor, non sans avoir préalablement cheminé sur les contre-forts du Béarn lors de cette cyclosportive de160 km rudement bien organisée. Le temps avait été de la partie, les ravitaillements à la hauteur, les paysages magnifiques et il faut bien le dire, les ascensions douloureuses, la chaleur suffocante, le plateau repas réparateur.
Le lendemain, le climat dans la vallée nous avait lessivé à grande eau de ces souvenirs récents, sur une magnifique piste cyclable en pente douce jusqu’à Argeles. La sueur, les taches de sel et de sucre avaient rapidement disparu, mieux qu’aucune machine n’aurait pu le faire. Une quantité de flotte incroyable, et pourtant on est quand même habitué à progresser sous des climats humides par chez nous… Ce même climat nous a ensuite parfaitement essorés lors de la montée au col de Tramassel, autrement dit le fameuse montée d’Hautacam, siège d’exploits démesurés dans le chef de Riis au gros braquet (16-7-1996) et d’Amstrong au gros moulin (tour 1999) ; deux styles inverses pour une même vitesse incroyable. Lors des dernières rampes, le vent nous poussait littéralement dans le ravin, obligés de mettre pied à terre pour ne pas s’envoler. Le sommet ne fut pas à la hauteur de cette formidable ascension. Rien ; un parking, du vent, des nuages plus bas voilant toute la vallée. Le retour fut rapide vers Aspin en Lavédan, dans cet ensemble hôtelier magnifique où le club avait déposé ses bagages cette année.
Lors du troisième jour, c’est vers le col d’Aspin que nos roues nous conduisirent, cette fois tous ensemble, maris et femmes, père et fille ; le temps s’était remis au beau fixe, les kilomètres d’échauffement se sont étirés jusque Ste-Marie où le faux plat commença à décimer la troupe. Au sommet ce sont des vaches indigènes, tachetées de noir et brun qui nous accueillirent ; langues en alerte , elles nous débarrassèrent du sel accumulé sur notre peau lors de la montée. N’étaient-ce pas déjà elles qui assaillirent Bartali, Bobet et Robic ici-même il y a environ trente ans (25-7-1950 : chute au sommet, bousculade des supporters français) responsables de l’abandon de tous les coureurs italiens craignant pour leur santé. Il en faudra plus pour parvenir à déstabiliser un club de grimpeurs belges. Le dîner au pied de la forge d’E Christophe (Lieu de réparation d’une fourche brisée au pied de la descente du Tourmalet : 9-7-1913), une pensée pour lui autour d’une pizza et pour les moins fatigués, retour à travers les contreforts du Tourmalet, par le chemin inverse que L. Jalabert ouvrira en tête lors de l’étape du tour 2002. Le col de Lingous et la dernière descente un peu trop rapide pour certains pour arriver au bercail où l’apéritif, le plantureux repas et le repos bien mérité nous attendaient.
La veille du sacré jour, un groupe de 8 partit, destination Boucharro. Sur le chemin nous discutons avec des Anversois, qui se dirigent à menu braquet vers le Tourmalet, un des leurs a rencontré de plein fouet un skateur, la veille, sur la piste cyclable, le danger est vraiment partout… Au retour, nous croiserons le tour de France cyclotouriste qui se dirige également vers le géant de la vallée, pour faire étape à Barrèges. Que de cyclos, sur tous types de bécanes, de tous genres, de tout âge, de tout sexe. Voilà une expérience intéressante. Un petit arrêt sur le pont Napoléon et la route continue ; Gavarnie nous voici ! En prévision du lendemain, je me dois de ne pas me mettre dans le rouge, résister à cette tentation est douloureux, autant que les derniers kilomètres… Au sommet du col de Tente, un barrage de grosses pierres tente de nous empêcher le passage jusqu’au col de Boucharro. Chute de pierres, danger. Ce n’est pas grave, au lieu de zigzaguer, au travers des pentes les plus rudes, je contournerai les amas de gravats et les blocs de pierres, de loin cela paraît plus élégant J’emmagasine les cols. Le temps demeure rassurant.
Et nous voilà enfin à pied d’œuvre. Aucun copain ne voulant s’anoblir de la sorte , le « nous » est uniquement composé de mon fidèle et blanc assistant à deux roues, triple plateaux et neuf pignons et du humble narrateur.
Le jour dit point. Par la fenêtre entrouverte, un doute m’assaille. Eh oui, nous sommes en montagne, dans les Pyrénées, et il fait gris. Rien ne peut arrêter un galérien, changement de tenue, lunettes de soleil dans l’étui et départ solitaire. La pluie est là. Elle peut prendre tellement de formes, je pense à ces pluies d’orage, où les routes ruissèlent mais où l’on passe à travers les gouttes, échappant à l’humidité ambiante, la tête haute et sèche. Ici je suis mouillé, mes jambes sont sujettes à une rosée particulière, des milliers de perles éclatantes enfilées sur des milliers de poils, mais l’environnement semble sec. La route à peine luisante, je déjeune à Argelès de deux croissants et d’un tampon ; il est 7 Heure 50.
La route s’élève de suite, histoire de se mettre d’emblée dans un drôle de bain. A partir de 800 mètres d’altitude, brouillard. Où sont ces paysages tant attendus, ces vallées verdoyantes, ces vaches, ces fleurs,… ces collègues à deux roues ?
Soulor de juillet : il ne me subsiste que la rêverie.
Le compteur et l’altimètre permettent de ne pas se perdre complètement dans une douce folie. Je revois E. Merckx, là devant, sous un soleil impérial, ayant abandonné le peloton au sommet du Tourmalet pour passer devant son coéquipier, et ne se retournant plus jusqu’à Mourenx Ville Nouvelle (15-7-1969) ; son directeur sportif l’exhortant à ralentir et lui, déjà serti de jaune, lavant l’affront du giro, poussant de plus en plus sur ses pédales et augmentant sans cesse son avance. Deuxième arrêt : le col est là. Un cycliste se change contre un mur, vite, un café dans le relais des Marmottes qui ouvre justement. La route continue, ne pas perdre trop de temps ni de chaleur. J’avais bien vu le balcon du Litor le premier jour ; sujet au vertige, je ne peux que me réjouir des conditions climatiques, il faut rester positif. La route remonte vers le grand frère, l’Aubisque, et plus la route monte, plus la brume roussit ; les quelques mètres de paysage qu’il m’est offert de démasquer furtivement prennent une teinte rouillée, le soleil est là pas loin, juste un peu plus haut. Quelle peste qu’il n’y ait point de baronnie au Tourmalet ! là il doit faire clair…
Descente jusqu’à Laruns. Pendant la descente, je ne peux rêver, usant rapidement mes patins de freins, c’est au rythme de mes grelottements que j’atteints la première étape. J’entre dans le premier débit de boisson chaude, bégaie ma commande et tente de me réchauffer devant les yeux surpris des touristes ayant délaissé leur programme de ballade pour augmenter leur note de café. Fidèle GSM, je contacte ma moitié pour une assistance impromptue. Rendez-vous est pris au sommet du deuxième Soulor de la journée, avec des vêtements secs et chauds. Il ne faut pas s’attarder, la route reste longue et je suis persuadé que seule la chaudière de mon train-train gravissant me réchauffera. Les vieux pins laissent la place à Eau bonne. Après l’accentuation de la pente, je retrouve la brume, Chiappucci et le roi Miguel sont devant (Première prise du maillot jaune par Indurain 19-7-1991). Ils doivent encore se « taper » un fameux palmarès. Biquet aussi s’est évadé ici (Robic 1948 ). Gourette à présent et cette rouille qui embrase les derniers hectomètres où je rattrape trois braves cyclos qui grimpent de concert en se parlant sans se voir. Voici la descente vers le cirque, Wim Van Est est en retard, il doit prendre des risques si il veut conserver son maillot jaune (17-7-1951). Le virage, la chute, la remontée du ravin, 20 mètres plus bas en s’agrippant aux boyaux noués, et la montre Pontiac indemne, qui rapportera plus d’argent en publicité que la belle tunique.
La descente demeure dangereuse, la brume disparaît dans les tunnels mais, ce n’est pas pour ça que j’y vois plus clair. La petite remontée et un véhicule connu apparaît au sommet du deuxième Soulor. Ma tendre moitié s’y est blottie, elle m’apporte mes tenues hivernales. Surchausses, maillot doublé, cuissard long et imperméable. Il est 13H 02. Nous dînons rapidement d’un sandwich, et après le bisou du dessert, nous nous séparons, direction Arthez d’Asson pour le deux roues. Quel désagréable surprise, la route vient d’être recouverte de gravillons et les roues grésillent . Il faut redoubler de prudence et diminuer encore la vitesse de croisière. J’inspecte tous les blocs de ciment de la descente, sur lequel B. Thevenet est-il tombé ? Il s’était relevé de suite et était reparti à grande vitesse, mais il ne savait plus où il allait, dans quelle course il se trouvait, victime d’une petite commotion cérébrale (9-7-1972).
Au pied de la descente, le temps s’ouvre, ici c’est sec. Après une petite collation dans un café sans âge, où les publicités de boissons des cinquante dernières années se côtoient, c’est le départ de la dernière ascension. Je la connais depuis l’étape du tour de 1997. Nous partîmes 7000 et nous arrivâmes beaucoup moins au port. Quelques jours plus tard, chez les professionnels, l’équipe Festina avait dynamité la course… on sait maintenant comment.
A Ferrières, une route à gauche et une idée, la route tourne à droite et c’est reparti dans les pourcentages. Les douleurs sont moins présentes lors de cette ultime ascension, cela doit être l’odeur de l’écurie.
Il est 16H38 quand j’entame une discussion avec un cyclo provençal qui collectionne les BCN,BCF (brevets cyclotouriste où l’on doit collecter des tampons de lieux remarquables en France) au snack du sommet.
Ouah! Plus que descendre, quoique…..
La brume est toujours présente, mais la fatigue annihile mes angoisses, la vitesse croît. Il faut se méfier des derniers virages avant Arrens-Marsous. J’y entends pleurer Hugo Koblet, avec son maillot rouge frappé de la croix blanche, des emplâtres sur les jambes, entrant dans l’ambulance blanche frappée de la croix rouge. Le virage, le muret et puis un saut périlleux à 80 Km/h (13-7-1953). Enfin le village et comme par enchantement, la brume disparaît, la rêverie disparaît, mon plan est échafaudé depuis longtemps maintenant. Première route à droite, la route remonte jusqu’au col des Bordères où je réalise un demi-tour. Membre de la confrérie des cent cols, c’était trop tentant, c’est pas demain que je reviendrai.
De retour à Arrens, je reprends la route du retour, elle est maintenant plate dans la vallée. Quelques kilomètres plus loin, nouveau carrefour, mon sang ne fait qu’un tour, le petit plateau tombe à pic et je remonte au col de Coudaruque. Ce col est magnifique, du type pastoral serpentant. Au sommet un parking et un motor-home. Je hèle le touriste italien et examine ses cartes routières. Ca doit passer, il n’y a pas de bitume, je suis en pneu de 23. Je me lance dans la descente, mains sur les freins. Une pensée pour les forçats de la route qui réalisaient tout le tour de France sur ces routes pleines de gravats et avec des freins bien moins performants. Un refuge sur la droite et des marcheurs qui n’en croient pas leurs yeux de voir passer un vélo de course là où un VTT n’irait pas plus vite tellement les gravillons sont glissants. Après cette interminable descente, je retrouve un sol plus agréable mais une ultime grimpée. Ici le col est sauvage et forestier. Bonjour col des Spandelles.
Enfin souffler. Se laisser descendre jusqu’à Argelès où le dernier tampon termine de noircir ma feuille de route. Il est 19 H 30.
La piste cyclable sous le soleil. Mon ombre me paraît si grande, ai-je grandi ce jour ?
Le retour à l’hôtel, le dîner et le repos bien mérité. Sur mon compteur, 192 Km et 4945m de dénivelée. Dans ma tête, plein de souvenirs et déjà, ….. vous avez dit fondu de l’Ubaye, fêlé du colombier, Paris-Brest…..
Le vendredi est le dernier jour du stage, il nous reste a escalader le fameux Tourmalet. Le temps semble de nouveau avec nous. Les jambes n’ont pas encore oublié le Soulor, ça ne tourne pas facile. La montée depuis Luz se fait dans un train d’enfer, peu après Barrèges, je verrai partir mes amis, préférant monter à ma main. Sur le sommet, le vent s’est levé, les nuages approchent. Après la photo protocolaire devant le géant, je préfère rentrer de suite. Je suis de suite pris dans un nouveau et violent orage, bon dieu, rien n’est épargné au nouveau baron. Les amis attendrons au chaud que le plus gros passe et reviendront en passant par Luz-Ardiden.
Encore une semaine qui a défilé comme une descente à vélo.